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La romance de l’argot et du littéraire, ou l’art de la dissonance.

vor 6 Jahren
J’aimerais vous parler ici d’un mélange des genres, d’une histoire d’amour sincère et passionnée, celle de l’argot et de la langue littéraire.

Laissez-moi rapidement vous dépeindre les deux personnages, la Belle et la Bête de notre langue française .

L’argot c’est d’abord un vagabond, un gars des rues, il parle avec son coeur en poète, ou en « rimailleur » comme il dit. Ses mots sont des métaphores à eux seuls. Il ne porte pas de « bijou » mais des « joncailles ». Il préférera le mot « cabot » à celui de « chien ». Et puis il ne « travaille » pas, mais il « trime ».

La langue littéraire quant à elle, vit dans une maison confortable et prend le temps de l’écriture, seule le soir, devant son écritoire, à la lumière d’une bougie et au parfum d’une tisane de violette. Elle s’embarrasse de beaucoup de mots, puis les ordonne délicatement pour qu’ils fassent de la belle musique. Le subjonctif imparfait et le passé simple sont ses deux grands amis. D'ailleurs lundi dernier, elle voulait qu’ils « vinssent » lui rendre visite, mais ils ne "vinrent" malheureusement pas …

Amour improbable et pourtant magnifique, l’argot et la langue littéraire s’étreignent sous nos yeux dans de nombreux textes, lieux de jouissance pour nos deux âmes sentimentales. Et quand ils s’unissent impudiquement, alors le spectacle est magnifique.

Pour que l’union ait lieu, il faut cependant des entremetteurs. Je vais ici vous en citer deux. Louis-Ferdinand Céline et Raymond Queneau.

Céline (1894-1961) est un entremetteur de grand talent, que l’on étudie au lycée comme à l’université. Ce talent fut malheureusement obscurci par des écrits antisémites rédigés entre 1937 et 1941. Nous nous intéresserons ici à l’écrivain qui maria le premier argot et langue littéraire, dans son célèbre roman « Voyage au bout de la nuit ». Quand l’union des corps s’opère, alors ça donne ceci :

⁃ « Il existe pour le pauvre en ce monde deux grandes manières de crever, soit par l'indifférence absolue de vos semblables en temps de paix, ou par la passion homicide des mêmes en la guerre venue. »

⁃ « Le métro bondissait en face, entre deux rues, comme un obus, rempli de viandes tremblotantes et hachées, saccadait à travers la ville lunatique de quartier en quartier. »

⁃« Les vieillards s'en allaient crachoter leurs cancans avec leurs caries d'une salle à l'autre, porteurs de petits bouts de ragots et médisances éculées. »

⁃« Elle patronnait, m'expliqua-t-on par la suite, cette Royauté, de son nom, de ses nichons, et de son honneur royal le navire qui nous emportait. »


Queneau (1903-1976) est quant à lui un joueur amusé. L’argot et la langue littéraire sont ses compagnons de jeu. Dans « Zazi dans le métro », Queneau va aller au bout de son idée, en modifiant l’orthographe des mots, en jouant avec la phonétique, pour permettre au littéraire et à l’argot de s’épanouir sans contrainte :

⁃ « Doukipudonktan", se demanda Gabriel excédé. Pas possible, ils se nettoient jamais. Dans le journal, on dit qu'il y a pas onze pour cent des appartements à Paris qui ont des salles de bain, ça m'étonne pas, mais on peut se laver sans. »

⁃« La bouche de métro, elle sentait fort, une odeur de poussière, d'une poussière ferrugineuse et déshydratée, une odeur que Zazie juge inédite et qu'elle renifle avec enthousiasme. Un grondement se fit entendre, trente secondes plus tard apparurent deux ou trois crossmen les coudes au corps, puis quelques gens pressés mais moins agiles, ensuite les ménagères, enfin, des vieillards, pesants voyageurs. Zazie descendit quelques marches et demeura là, plantée au milieu de l'escalier, émue de descendre cette voie sacrée. Un garçon, un peu plus âgé qu'elle, la bouscule au passage en lui demandant si elle ne pourrait pas se grouiller, non? «Cocu», qu'elle lui réplique. »

⁃« -Vous voulez peut-être savoir mon nom par egzemple ?
-Oui, dit Gridous, c'est ça, vott nom.
-Eh bien je ne le sais pas. »

Dans cette union de l’argot et de la langue littéraire, de la Belle et la Bête, nous pouvons nous poser une question : Qui est la Belle et qui est la Bête ?

En tout cas, le contraste dans un langue, c’est comme le contraste dans un vie. Imaginez-vous marcher au milieu d’une rangée de maisons ayant toutes les mêmes formes et les mêmes couleurs. Vous ne ferez rapidement plus attention au paysage, jusqu’au moment ou, au milieu des maisons, un homme aura décidé de peindre la sienne en jaune fluorescent. Cela captera votre attention. Une phrase, un discours, c’est la même chose. Rajouter du contraste en mariant les registres de langue, en mettant un peu de jaune fluorescents au milieu d’un nuancier sombre, captivera tout un auditoire. :)

Dans vos langues respectives, quels sont les écrivains qui mélangent également les registres ?
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Arthur

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