Comment apprend-on une langue ?
La question de la bonne méthode pour enseigner et apprendre une langue étrangère demeure une sorte de Graal. De même que pour cette quête mythique, on a foi en son existence et on multiplie les recherches. Mais les chevaliers de la tour ronde de Babel courent encore après l’objet sacré, la méthode-panacée qui fonctionnera pour toutes les langues et avec tout le monde.
L’histoire de la didactique des langues remonte à loin, et aujourd’hui les théories et points de vue se multiplient sur YouTube et dans les conférences TED. En voici un rapide tour d’horizon, non exhaustif.
Situons sans rigueur universitaire le début de cette quête avec la bonne vieille méthode grammaire-traduction, laquelle, soyons francs, est aussi morte que les langues qu’elle enseigne traditionnellement (le grec et le latin). Elle nécessite d’apprendre par cœur la grammaire et de procéder à de longues versions/traductions de textes littéraires.
Après des lustres d’étudiants submergés par les lourdeurs grammaticales, on a ensuite radicalement changé de cap, avec l’apparition de la méthode directe. Il s’agissait là d’une tentative d’apprentissage par l’immersion dans la nouvelle langue, en sautant l’étape traduction et grammaire.
Par la suite, dans un but d’expansion de la langue française, l’État commanda des travaux pour aboutir aux méthodes audiovisuelles. On reconnaît alors l’implication des sens dans l’apprentissage : l’ouïe et la vue, tout en conservant l’importance donnée à la pratique.
Tout cela reste assez peu authentique, mais on avance. Ainsi accorde-t-on peu à peu de l’importance à la communication, voire aux sentiments.
L’armée va participer à la quête de la méthode parfaite en posant les jalons de la méthode audio-orale, qui fait la part belle aux automatismes. Mais la flexibilité n’est pas franchement au rendez-vous.
Plus récemment, on a fini par comprendre que le cerveau avait besoin de stimulation, et l’approche dite communicative se veut plus complète. Elle prend en compte les situations de l’usage de la langue. Peu après, l’approche actionnelle pousse le raisonnement plus loin encore, en estimant que l’on agit lorsque l’on parle. La situation réelle, avec un objectif ou un projet, est alors largement favorisée, de même que les interactions.
Depuis quelques années, de nouvelles théories émergent, que je qualifierais de « synesthésiques » et prenant en compte les sens et les liens mémoriels dans l’apprentissage. On ne les trouve plus uniquement dans des articles de littérature grise, mais exposées dans les conférences TED et sur YouTube. Ce ne sont plus seulement des didacticiens qui prennent la parole, mais des polyglottes qui témoignent de leur propre expérience et méthode.
L’apprenant d'une langue dispose aujourd’hui d’un vaste choix, et il peut sélectionner la méthode selon sa propre manière d’apprendre, ses goûts et son porte-monnaie. On trouve ainsi, entre autres, l’immersion proposée par des entreprises/agences de voyages linguistiques (petits budgets s’abstenir), le logiciel de langue (aux oubliettes les interactions), les cours du soir ou encore, les cours particuliers en ligne.
Personnellement, je m’inspire de ma propre expérience d’enseignante et d’apprenante, des théories apprises à l'université, mais surtout, des témoignages de ceux pour qui ça a marché.
Je citerai par exemple Chris Londale, auteur de « The third ear ».
En résumé, ce polyglotte conseille d’oublier le mythe selon lequel il faut un talent inné pour apprendre une langue. En effet, selon lui, l’essentiel est de donner du sens à ce que l’on apprend et donc de l’employer dès le départ afin de communiquer.
Dans un second temps, il conseille de s’imprégner de la langue, écouter même si on ne comprend bien entendu pas tout, faire confiance à son cerveau et au contexte, tel un enfant.
Enfin, il nous rappelle que le corps tout entier intervient dans l’apprentissage. Ainsi, il faut sentir les mots dans sa bouche au niveau musculaire et articulaire, mais aussi se sentir disposé physiquement et psychologiquement. La mémorisation fonctionne par lien, on peut donc mieux mémoriser en reliant les mots à des images et des sentiments. Nous sommes un tout et nous avons besoin de bienveillance, d’où également l’importance d’avoir un « parent de langue », quelqu’un qui fera montre de patience vis-à-vis du débutant que nous sommes.
J’aime également visionner les vidéos du YouTubeur et polyglotte génial : Luca Lampariello.
Ce dernier dispense ainsi régulièrement ses conseils, que je résumerai en sept points :
- Choisir une langue qui nous motive. L’envie est essentielle.
- Étudier chaque jour, même très peu.
- Choisir un livre que l’on aime et décider de le lire dans la langue étudiée, peu importe la difficulté et les mots qui nous échappent.*
- Se connaître en tant qu’apprenant : utiliser une méthode qui marche pour soi-même, comme la prise de notes ou les schémas visuels.
- Se débarrasser des a priori négatifs et des comparaisons aux autres.
- Se soucier en priorité du sens plus que des mots. Et enfin, très important :
- Apprendre les mots en contexte. En effet les mots ont plusieurs sens, et mal les employer peut s’avérer très gênant ou très drôle pour le locuteur natif (imaginez par exemple le mauvais emploi verbal du nom « baiser », souvent cité avec un sourire embarrassé par les étudiants de français en ayant fait l’expérience...).
À ma connaissance, la bonne méthode n’a pas encore été trouvée. Le Graal reste sans doute à découvrir et je demeure une chevalière de la tour de Babel partageant la même quête que les autres, observant mes élèves, épluchant les derniers articles et suivant les conférences TED sur le sujet. Et je commence humblement à esquisser ma propre recette...
L’équation magique pour apprendre une langue me semble ainsi comporter au moins ces éléments : envie + plaisir + personnalisation + discipline + travail + bienveillance.
En effet, la bonne méthode est celle qui s’adapte à chacun et que chacun adapte à sa propre façon de mémoriser et à ses propres centres d’intérêt. Rien n’empêche de se rendre sur le grand marché des méthodologies et de garnir son panier au fil des étales. Mais rien n’empêche non plus d’être infidèle en se servant de-ci de-là dans les techniques qu’on juge les plus efficaces pour soi.
Lorsque l’on s’amuse et que ce que l’on fait nous intéresse, on ne se rend pas compte du temps passé à étudier. Et en conclusion, la méthode qui paie le plus reste sans doute celle conduisant à réaliser l’effort nécessaire en y prenant du plaisir. Car, en définitive, rien ne remplacera jamais le travail personnel. Et vous, quelle est votre méthode ?
Marie-Caroline Braud
*Je me renseigne également en ce moment sur l’utilisation de la lecture pour apprendre une langue, et ce dès le niveau débutant. Dans ce cadre, je recommande le visionnage très instructif et clair de la vidéo « 4 steps to learning a language with books », par Fingtam Languages.
PS : Un autre excellent moyen de rester motivé : les groupes de travail. Rejoignez les étudiants en français du « café français de Marie-Caroline » sur Facebook !
2 de Maio de 2018